Plus les conservateurs soutiennent la manifestation du convoi, moins ils auront d’attrait pour les électeurs
La bataille pour l’âme du Parti conservateur a commencé, une nouvelle fois. Alors que son dernier ex-chef titube vers le coucher du soleil, il laisse derrière lui les détritus habituels: un parti dans le trouble, des médias en délire et un premier ministre, Justin Trudeau, souriant. Encore une fois, les libéraux profiteront de plusieurs mois de sécurité d’emploi pendant que les conservateurs se battent entre eux et ignorent les affaires du gouvernement. Si seulement ces camions arrêtaient de klaxonner, Trudeau doit penser, le Parlement serait un bel endroit de détente ce printemps.Il ne devrait pas en être ainsi, bien sûr. Le Canada a besoin de deux grands partis fédéraux forts. Il a besoin d’une opposition qui oblige le gouvernement à rendre des comptes et agit comme un gouvernement en attente. Sinon, il n’y a pas de freins et contrepoids, les gouvernements s’ossifient et la corruption s’installe. Nous avons déjà vu ce film, et il s’appelait Les années 1990. Lorsque la base électorale conservatrice s’est scindée entre les partis réformiste, bloquiste et progressiste-conservateur, les libéraux ont eu la voie libre pendant 13 ans, culminant avec le scandale des commandites. Ce n’est pas un exercice qui vaut la peine d’être répété.Les conservateurs en ont aussi assez de ces batailles. Ils ont maintenant perdu trois élections successives sous trois chefs différents. Erin O’Toole n’a pas tort lorsqu’il prévient qu’ils risquent de devenir le NPD de la droite. À un moment donné, les électeurs pourraient cesser de vous prendre au sérieux, et les donateurs aussi. L’un des facteurs ayant contribué à la chute d’O’Toole pourrait bien avoir été les résultats de la collecte de fonds du parti au dernier trimestre: alors que tous les partis fédéraux ont vu leurs dons chuter après les dernières élections, les revenus des conservateurs ont chuté de 68%, comparativement à une baisse de 50% pour les libéraux et une de 36% pour le NPD. Seul le Bloc s’en sort moins bien, avec une baisse de 87%.La bataille cette fois, cependant, est différente. Ce ne sont pas seulement les factions habituelles – les conservateurs sociaux, les libertariens, les conservateurs fiscaux et les conservateurs rouges – qui se battent. Il y a un autre élément qui a explosé sur la scène le week-end dernier: le populisme. Ou plus précisément, le populisme à l’américaine, dont certains éléments ont garni la manifestation du convoi d’Ottawa. Lorsque votre foule comprend des bannières pro-Trump, des drapeaux confédérés et un leader de convoi qui fulmine contre George Soros, vous savez que l’aiguille a bougé, et pas dans le bon sens.Jusqu’à présent, les conservateurs fédéraux ont réussi à repousser les accusations selon lesquelles ils ne sont rien de plus que des républicains avec une feuille d’érable. Ils n’ont pas fait cause commune avec la bande des «chapeaux d’aluminium» à laquelle le premier ministre a fait référence avec dérision le week-end dernier. Mais la question divise maintenant le caucus, les députés et les sénateurs prenant parti pour soutenir ou non une manifestation qui s’est transformée d’un rassemblement «pour la liberté» en une occupation sans fin en vue.C’est la manière dont le message est délivré, plus que le message lui-même, qui peut maintenant être le problème. Selon le dernier sondage Abacus, 57% des Canadiens croient que la manifestation était «offensante et inappropriée», tandis que 43% sont d’avis contraire. Mais ces chiffres varient considérablement d’un parti à l’autre: alors qu’un tiers des partisans libéraux ou néo-démocrates disent que les choses étaient appropriées et respectueuses, 55% des partisans conservateurs le pensent, ainsi que 93% des partisans du Parti populaire.Depuis que le sondage a été réalisé, des comportements inappropriés ont été signalés, notamment des cas d’intimidations envers des personnes portant des masques. Mais il y avait déjà beaucoup de choses offensantes le week-end dernier, y compris la profanation du Monument commémoratif de guerre du Canada et la présence de nombreuses affiches arborant des «F ** Trudeau». Insulter quelqu’un, même un politicien, n’est généralement pas considéré comme respectueux, et cela n’a jamais été une caractéristique majeure de la politique canadienne. En 2015, un homme en Alberta a été condamné à une amende pour avoir affiché un panneau «F ** Harper» sur son véhicule, parce que cela distrayait l’attention des autres automobilistes.Les conservateurs savent qu’ils doivent élargir leur base s’ils veulent gagner les prochaines élections. Pour ce faire, ils doivent être un club que d’autres électeurs se sentent à l’aise de joindre, que ce soit pour des raisons de principes sous-jacents, de politiques spécifiques ou d’auto-identification politique. Plus la manifestation des camionneurs vire à la brutalité, plus le soutien des conservateurs à celle-ci rebutera les électeurs que le parti se doit d’attirer.Les familles de la classe moyenne dans les circonscriptions de banlieue à travers le pays ne sont pas susceptibles de conduire leurs voitures ornées d’obscénités. Les nouveaux Canadiens ainsi que les Canadiens et Canadiennes regroupés sous les acronymes BIPOC ou LGBTQ ne vont pas se joindre à un parti qui sent l’intolérance. Et les Canadiens en général voient d’un mauvais œil la politique de style Trump qui est enracinée au sud de la frontière.Les conservateurs doivent se débarrasser de ces associations et présenter un visage positif et accueillant aux Canadiens. Ils doivent défendre les principes d’un gouvernement limité, du changement progressif, de l’égalité des chances, de la famille et de la libre entreprise. Ils doivent parler à la fois de liberté et de responsabilité, de l’individu et de la communauté. Le Canada n’a pas besoin d’un NPD de droite. Il a besoin d’une alternative ayant des chances de l’emporter contre les libéraux.Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post