Le populisme de Poilievre plaît parce que les élites ont abandonné la classe ouvrière
Ça a été une grosse semaine aux États-Unis. Un grand jury à Atlanta a inculpé l’ancien président américain Donald Trump pour avoir conspiré en vue d’annuler les résultats des élections de 2020 dans l’État de Géorgie. Le quatrième acte d’accusation de Trump ajoute 13 accusations de crime à son casier judiciaire, y compris une accusation de complot criminel. Pourtant, les sondages montrent que Trump remporterait toujours facilement l’investiture républicaine, et peut-être même la présidence, en 2024.Ça a aussi été une grosse semaine en Argentine. Le principal candidat après le premier tour des élections présidentielles de dimanche est Javier Milei, un anarcho-capitaliste excentrique autoproclamé qui qualifie le changement climatique de «mensonge socialiste» et ne s’est pas brossé les cheveux depuis l’âge de 14 ans. Milei aime les Bitcoins, il aime Trump, déteste les élites, et a commencé et terminé son discours de victoire par «Vive la liberté, bon sang!»Et puis il y a le Canada. Nous sommes plus gentils et plus doux, bien sûr: aucun de nos politiciens n’a été arrêté et le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, brandit régulièrement un peigne. Mais notre politique n’est pas à l’abri des courants qui font le tour du monde, et qui ont fait la une des journaux cette fin de semaine chez nous, avec une histoire qui a été très populaire sur Internet: «Pierre Poilievre flirte avec des théories du complot».La Presse canadienne a régalé les lecteurs d’histoires de Poilievre sur le circuit du barbecue, disant aux fidèles qu’«il n’y aura pas d’identification numérique obligatoire dans ce pays, et j’interdirai à tous mes ministres et hauts fonctionnaires toute participation au Forum économique mondial.» L’article mentionne que les conservateurs ont envoyé un courriel de levé de fonds disant: «Il est grand temps que nous rejetions les élites mondialistes de Davos et que nous ramenions le bon sens des gens ordinaires». Il se termine avec l’avertissement d’un professeur de sciences politiques qui dit que tout cela finira par affecter notre démocratie «puisqu’on oppose désormais les groupes les uns aux autres, on crée des soupçons et on porte atteinte à la sécurité nationale en diffusant des fausses nouvelles qui finissent par affecter la politique.»Euh, pardon? Dites-nous quelque chose que nous ne savons pas déjà!Poilievre se moque du WEF depuis qu’il a attelé son chariot au Convoi de la liberté pour remporter la direction du parti. Le PCC lève des fonds sur des questions tournant autour de la viande rouge et de la haine du premier ministre Justin Trudeau depuis son élection en 2015. La guerre des classes est devenue la nouvelle division politique. Et rien de tout cela ne devrait être surprenant.Oubliez la grande réinitialisation. Ce dont le monde est témoin est la Grande Inversion. Partout où vous regardez, les partis de droite sont devenus les champions de la classe ouvrière, tandis que les partis de gauche se sont alignés sur les valeurs de l’élite mondiale. Par élite, je ne veux pas seulement dire Klaus Schwab et Bill Gates. Je veux dire la classe des utilisateurs d’ordinateurs portables, les travailleurs du savoir et les progressistes urbains. Des gens qui ont le luxe de se soucier des causes qui laissent la classe ouvrière plutôt froide, comme les changements climatiques, les droits des trans et la décolonisation.Pourquoi? Parce que contrairement à la classe ouvrière, la classe des utilisateurs d’ordinateurs portables travaille encore ou reçoit des subventions gouvernementales pour soutenir ses efforts. Ils ne ressentent pas la pression économique des impôts élevés, de la forte inflation ou de la crise du logement. Ils n’ont pas l’impression d’être de plus en plus laissés pour compte, économiquement et culturellement, comme le dit le hit viral d’Oliver Anthony, «vivre dans un nouveau monde avec une vieille âme».Cette tendance était déjà évidente avant la COVID-19. Elle s’est accélérée lorsque la pandémie a divisé la société en deux groupes: ceux pour qui le gouvernement était un ami et ceux pour qui il est devenu un ennemi. Cela se reflète désormais dans leurs conceptions radicalement différentes des droits et libertés. La version de gauche dépend fortement de l’intervention du gouvernement et de l’annulation sociale des points de vue opposés. La droite rejette les limites aux libertés individuelles mais voudrait que le gouvernement annule les protections visant les minorités. Ajoutez à cela l’amplification des médias sociaux et la polarisation politique s’est accrue.Le calcul de Poilievre est le suivant: il peut solidifier le vote anti-gouvernement-pro-liberté-conspiration sans aliéner les électeurs moyens frustrés-rationnels-et-en-difficulté dont il a besoin pour gagner le pays. Il fait le même calcul que Trump et Milei, et plus l’économie se dégrade, plus ses chances de succès sont grandes.Est-ce bon pour la cohésion sociale? Non. Est-ce bon pour la démocratie? Non. Mais c’est ce qui arrive quand les élites restent assises trop longtemps et boivent leur propre kool-aid : juste un autre cas de l’histoire qui se répète.Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post